Jean-Luc Gustin La gestion, c'est un art

Mon rôle est d’accompagner les étudiants qui optent pour la filière en immersion proposée aux étudiants de master en sciences de gestion et en ingénieur de gestion. Ces étudiants choisissent d’apprendre la gestion en partie par la pratique, ils participent à hauteur de 3 jours par semaines à la gestion d’un projet au sein d’une organisation accueillante. Les plus entreprenants, choisissent de consacrer ces 3 jours par semaine à la gestion de leur projet d’entrepreneuriat. Ceux- là   sont donc « en stage » dans leur propre projet et je joue alors pour eux le rôle du maître de stage, je leur sers de « coach ». Cette expérience m’a appris au fil des années que l’excellence n’attend pas le nombre des années.  

Ma fonction au sein de la faculté des sciences économiques, sociales et de gestion de l’UNamur est de mettre mes compétences et mon réseau de contact afin de créer pour nos étudiants plus d'opportunités pour apprendre la gestion par l’expérience. Cette philosophie de « learning by doing » est au cœur du projet académique de la faculté. L’idée de base est de valoriser en terme de crédits académique, certaines activités externes conduites par les étudiants. L’accomplissement ultime est la possibilité qui est offerte à un étudiant de master en gestion de s’immerser dans son projet entrepreneurial à raison de 2 à 3 jours par semaines. Ces étudiants, auxquels la faculté octroie le statut d’étudiants-entrepreneurs (statut ouvrant des droits en matière d’aménagements programmatiques et en matière d’accès au statut d’étudiant-indépendant) ont la possibilté d’acquérir jusqu’à 30 % de leurs crédits de master en déployant leurs compétences de gestion au sein de leur projet d’activité. L’objectif est que le projet d’activité soit suffisamment abouti pour être lancé dès la sortie de l’étudiant son curriculum de master. Nous avons ainsi régulièrement soutenu la création de jeunes pousses telles que ‘Good Move’ ou plus récemment ‘Briocoli’ et ‘Noisette et Morille’.  

Mon rôle est essentiellement d’accompagner les étudiants qui sont « en stage » dans leur propre projet, je fais office de maître de stage. Je prends aussi le rôle de « coach ». Je les aide à bien cadrer leurs priorités, à bien planifier leurs démarches, à valider une série d’hypothèses. J’ouvre également mon réseau aux étudiants. Celui-ci est principalement composé d’acteurs du monde socio-économique, des chefs d'entreprise, des représentants d'organisations socio-économiques telles que l'Union wallonne des entreprises, la FEB, ainsi que des organismes liés au financement des projets, à la gestion des ressources humaines ou encore au non-marchand. 

J’accompagne les étudiants-entrepreneurs pendant minimum 2 ans, je fais donc presque partie de l’équipe, je vis les projets avec les étudiants au fur et à mesure de leur évolution, Mais en réalité la collaboration ne s’arrête pas avec la fin des études. Ce matin, j'étais en contact avec Jean-Baptiste Corbisier qui est sorti il y a un an déjà et que j’ai accompagné pendant 2 ans. Il y a donc des relations qui se créent, des relations fortes qui perdurentJe ne me vois pas comme un conseiller externe, et encore moins comme un professeur avec une logique d'analyse. Ma contribution c’est d'être dans l'équipe et quelque part, de m'assurer et que je balaie devant le chemin des étudiants entrepreneurscar les parcours ne sont pas toujours évidentsNos liens tendent vers l’esprit de camaraderie.  

Je crois qu'il y a deux éléments où l’université doit renforcer sa formation. Le premier, c'est la notion, d’accueillir l’incertitude. C'est cette notion du fait que tout n'est pas écrit. Quand on essaie d'entreprendre, et on l’a très bien vu avec la crise, ça a été un bouleversement complet du contexte et je pense que nos études sont souvent beaucoup trop construites, comme si le monde était pré-déterminé. On oublie à tout moment qu'il y a d'autres facteurs qui influencent certaines variantes du modèle et le modèle est une adaptation perpétuelle. C'est, à mon humble avis, ce qui génère de très grands freins à l'entrepreneuriat auprès des étudiants en gestion. La formation reste extrêmement théorique. Elle reste basée sur un postulat de départ : « toute autre chose égale par ailleurs », ce qui est fondamentalement faux.  A partir du moment on a mis ce postulat dans la balance, on peut montrer ou démontrer tout ce qu'on veut et gommer l’incertitude. C'est vraiment un très gros défaut du système d'enseignement de la gestion, c'est de croire qu'on est une science. La gestion n'est pas une science. La gestion, c'est un art. L'art d'appliquer les bonnes techniques de dé-complexification de la réalité, de les appliquer au bon moment sur base de données fiables afin d’améliorer la prise de décision. La gestion n’est rien de plus et, à mon humble avis, il n'y a pas d'autres pratiques possibles pour maîtriser cet art que de le pratiquer. Il faut être confronté à la réalité pour être dans le bon timing de décision et appliquer le bon modèle pour décider.  

Le deuxième élément, c'est cette notion de confiance en soi, de persévérance. Dans le mode de valorisation des crédits et de valorisation même des productions des étudiants, je trouve qu’il y a très peu de place pour la valorisation de la prise de risque. Oser prendre des risques est aussi une valeur importante à acquérir pendant l'apprentissage universitaire parce qu'il est clair que la prise de risque sur la durée d’une carrière va être un élément déterminant de son évolution. Je pense que les personnes responsables de l'organisation de l'enseignement en général devraient en faire une valeur cardinale de l’enseignement.  

Je suis particulièrement fier de la réussite de ‘mes’ étudiant-entrepreneurs. J’offre mon avis, j’attire leur attention sur certains risques, certaines opportunités, je les invite à considérer les problématiques d’après-demain (ex: gestion de la croissance) dès à présent pour s’assurer que l’entreprise est en capacité de croître à la fois sur les aspects commerciaux, les aspects opérationnels ou encore financiers. C'est stimulant d’un point de vue intellectuel et ça me rappelle les challenges que j’ai rencontré dans ma carrière. C'est aussi très enrichissant d’un point de vue relationnel. Pour moi, ma plus grande satisfaction c'est le fait de voir ces business sortir de nulle part et de suivre leur développement.  

Ce que j’ai appris depuis que j’ai rejoint l’UNamur, c’est que l'excellence n'attend pas le nombre des années. En accompagnant ces jeunes entrepreneurs, je collabore avec des décideurs qui acquièrent très rapidement des facultés d'analyse, de décision, de rebond, et une persévérance à toute épreuve. Parce qu'il en faut de la persévérance pour aller au bout de ses rêves d’entrepreneur. C'est impressionnant pour quelqu'un comme moi, qui a l’âge d’être leur père, de voir qu’ils sont solides, qu’ils ont acquis le bagage nécessaire et qu’ils savent s'en servir.  

Soutenir ces étudiants qui osent, est ce qui me motive le plus.