John Cultiaux Entre mondes du travail et des études

John Cultiauxsociologue, chercheur au CRIDIS et au CIRTES (UCLouvain)responsable académique des stages et coordinateur académique de la filière immersion du Master en sciences de gestion et en Ingénieur de gestion à l’UNamur. Il enseigne également les compétences transversales dans les unités intégrées des bac 2 et 3 en gestion et dans le domaine de l’accompagnement des professionnels dans le cadre du Master de spécialisation MAPEMASS. 

La filière en immersion est l’opportunité, pour certains étudiants, de valoriser des ECTS dans le cadre d’un projet de longue durée qu’ils vont réaliser dans une organisation, plutôt que dans le cadre d’un cours classique en auditoire. Les étudiants réalisent un projet au sein de cette entreprise qui aboutit à la réalisation d’un mémoire-projet. On a environs une vingtaine d’étudiants qui sont dans des organisations aussi différentes que Décathlon, Paysans artisans, Methanex, le CHU Mont-Godinne, une grande entreprise de conseil… 

Concrètement, la filière en immersion remplace 15 ects du cursus académique de Master 1, l’équivalent d’une option, par deux stages (de 6 ECTS chacun) au sein de la même entreprise et un séminaire d’accompagnement dont j’ai la charge (pour 3 ECTS). Ils poursuivent le même projet dans la même entreprise en Master 2, dans le cadre du stage de deuxième année (6 ECTS) et aboutissent à la réalisation d’un mémoire-projet (15 ECTS). En tout, 36 ECTS sur 120 sont liés au projet qu’ils développent dans l’entreprise ou dans l’organisation qui les accueillent.   

Les étudiants bénéficient, dès le départ de leur parcours, du soutien administratif de la Cellule Corporate et de mon collègue Jean-Luc Gustin, chargé du recrutement des étudiants, de la sélection des projets, de la signature des conventions et du contact avec l’entreprise tout au long du projet. Il est aussi leur « nounou, mais pas trop », comme il le dit lui-même.  

Les étudiants sont accompagnés, dans l’entreprise, par un maitre de stage qui les orientent dans leur projet et qui sera garant de la pertinence opérationnelle de ce qu’accomplit l’étudiant. Ils sont aussi accompagnés un promoteur académique qui évalue la pertinence et la rigueur académique des démarches dans son domaine de gestion et qui tient lieu aussi de promoteur de mémoire.  

Mon boulot à moi, c’est de les accompagner sur les compétences transversales, c’est à dire dans le cadre de cette filière, sur les démarches d’intégration, de définition de l’objet et, plus généralement, la conduite de projet. Cela implique les questions de coopération (comment finalement un projet est toujours un espace collectif, et comment on peut animer cet espace collectif pour soutenir le succès du projet, comment on conduit un projet), d’organisation (définir des objectifs et un plan d’action, time management…), et de communication (comment communiquer dans l’entreprise ou dans un cadre plus académique…). 

Avant que les étudiants ne soient admis dans le programme, il y’a une sélection qui nous donne l’opportunité de les rencontrer, de tester leur motivation “pourquoi voulez-vous faire l’immersion? Quelles sont vos attentes professionnelles ou personnelles ? Qu’elles sont vos motivations? Comment percevez-vous vos points fort? Que souhaitez-vous développer comme compétences métier ? Dans quel secteur ?”. Etc.  

En parallèle, La Cellule Corporate sollicite et récolte des projets en entreprise qui peuvent occuper un étudiant pendant un an et demi et conduire à un mémoire qui répondrait aux exigences académiques. Ensuite, on essaie de faire « matcher » les propositions des entreprises avec les attentes des étudiants. On leur demande de rencontrer au moins trois entreprises, d’envoyer leurs lettres de motivation et de passer des entretiens. C’est une première bonne expérience qui leur servira sans aucun doute plus tard. 

Sur le plan académique, on démarre avant la rentrée avec un kick-off où on cadre à nouveau les attentes, les modalités de collaboration et où on avance aussi sur quelques compétences transversales de base pour leur permettre de démarrer rapidement, d’adopter quelques bons premiers réflexes… ou d’éviter les grosses âneries classiques. Ensuite nous avons 5 ou 6 rencontres en groupe durant le quadrimestre (le samedi matin), et ils doivent produire des livrables entre ces rencontres : ‘qu’est-ce que je vais mettre en place comme pratique pour entretenir le contact avec tous les membres de mon projet? Comment je vais problématiser ma question ? comment vais-je m’organiser tout au long du quadrimestre ?...”.  

Le monde du travail et celui des études sont très différents, c’est toute une autre communication. Ce sont deux univers professionnels, organisationnels et esthétiques différents, avec leurs propres codes, leurs propres évidences, leurs propres temporalités et leurs propres exigences. Ce qui est important dans l’un est parfois peu estimé dans l’autre, le rythme de déroulement d’un projet se cale difficilement sur le rythme académique et on ne s’adresse pas à un prof d’université comme on s’adresse à un client ou à un senior manager : tout ça doit être assimilé rapidement par les étudiants. Il faut trouver le juste équilibre entre la communication “bruts de fonderie” et celle qui tourne autour du pot pour arriver finalement à une être direct et assertif. 

On se dit souvent qu’entre la première fois où l’on rencontre les étudiants dans la sélection ou en kick-off et le moment où on les revoit pour leur présentation de fin d’année, ce ne sont plus les mêmes personnes. Ils gagnent en assurance, ils gagnent en calme aussi, en contrôle. Certains qui transpiraient l’anxiété par leurs mouvements, leur attitude, qui vous harcèlent de questions scolaires sur l’évaluation… tout à coup basculent dans autre chose, sont beaucoup plus en contrôle de leurs mouvements, de leur parole, de leur posture. On voit aussi une approche des problèmes qui n’est plus la même : ce n’est plus « je prends le problème et je tire dans tous les sens pour fournir une réponse au plus vite », mais « je prends le problème, je pense, j’analyse, sans vouloir tout de suite donner une réponse ». On voit que les étudiant murissent et se professionnalisent.  

Un autre moment clé est ce passage très indicatif où les étudiants passent du “eux” au “nous”, qui marque qu’ils trouvent vraiment leur place dans le projet, ils se sentent faire partie de « leur » entreprise. Reste encore, pour moi, à leur rappeler qu’ils sont encore étudiants.  

Alors le meilleur indicateur, c’est quand les entreprises en redemandent. La première année ils nous proposent un stage, la seconde cinq. On a donc des retours très positifs. On a aussi eu de mauvaises surprises, des entreprises pas assez structurées, trop petites ou trop grandes. On essaie quand même maintenant d’éviter d’envoyer les étudiants en immersion dans des structures trop petites ou trop jeunes, car elles sont très fragiles économiquement ou ont trop peu de temps à accorder à l’étudiant. On a eu le cas d’un étudiant dont l’entreprise a fait faillite, et des trop grosses entreprises où l’étudiant était noyé dans un immense département et pas vraiment de mission sur laquelle construire un mémoire. On apprend aussi de nos erreurs.  

Un des objectifs du séminaire est de permettre aux étudiants d’échanger entre eux et avec moi sur cette expérience, sur les étonnements et sur les questions que cela soulève. Les principales surprises pour certains étudiants c’est que l’entreprise attend de l’étudiant qu’il soit proactif pas qu’il reste assis en attendant qu’on lui dise quoi faire en entreprise il faut être « force de proposition ». Ils découvrent aussi qu’il ne faut pas attendre que leur rapport soit parfait ou que leurs idées soient complètement abouties pour communiquer quelque chose. A plein de niveaux, les étudiants se rendent compte qu’au-delà d’appliquer des connaissances, il leur faut avant tout trouver leur place dans l’univers de l’entreprise.